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Biodiversité en danger : où en est-on en Normandie ?

Réserve naturelle nationale des marais de la Sangsurière et de l'Adriennerie

clock Publié le 10 juin 2021

On le sait désormais : l’ennemi n° 1 de la biodiversité, c’est l’homme. Les activités humaines sont en effet les principales sources de dégradation de la faune, de la flore et des écosystèmes. Pour survivre et améliorer ses conditions de vie, l’homme a eu besoin d’agrandir son territoire et d’utiliser les ressources naturelles. Avec des effets très néfastes sur l’environnement : urbanisation à outrance, chasse des animaux et destruction de leur habitat, prélèvement massif de plantes… 

Les bernaches cravant hivernent dans la baie du Mont Saint Michel

Egalement engendrés par l’homme, la pollution et les changements climatiques sont des facteurs qui augmentent gravement le risque d’extinction des animaux et végétaux. Résultat, de nombreuses espèces sont aujourd’hui menacées partout dans le monde. Selon les études, il semble que 1/8 des espèces d’oiseaux, 1/4 des mammifères et 1/3 des poissons soient en péril. 


Qu’en est-il en Normandie ? Enquête sur le terrain à la recherche de la droséra, pépite de nos tourbières en voie de disparition…

La droséra, une espèce menacée

Drosera intermedia, Tourbière de Mathon ©Christophe Perelle

La droséra, petite plante des milieux humides à l’air délicat et inoffensif, cache bien son jeu. Appartenant à la famille de plantes carnivores des droséracées, elle constitue un piège redoutable pour les insectes. Elle possède de petits tentacules qui produisent des gouttelettes scintillantes et gluantes. Les insectes les trouvent irrésistibles mais lorsqu’ils les touchent, ils restent collés à la plante, ce qui stimule la feuille. Celle-ci se plie ou s’enroule (cela dépend de la variété de droséra) alors lentement autour de sa proie et sécrète des enzymes qui mangent l’intérieur de l’insecte. Un véritable tue-mouches vivant !

« Il en existe 3 variétés chez nous et certaines sont plus en danger que d’autres. »

Catherine Zambettakis, responsable de l’antenne de Caen Normandie du Conservatoire Botanique national de Brest

Malgré ce trait de caractère dominateur, la droséra n’en est pas moins une espèce menacée, en Normandie et ailleurs. Catherine Zambettakis nous explique : "La grande droséra (Drosera longifolia), qui se cache jusqu’au mois de juillet, est une espèce en voie de très grande raréfaction. On ne la trouve plus que dans la réserve de la Sangsurière, au cœur du marais du Cotentin, alors qu’on dénombrait 22 stations dans tout le massif armoricain à la fin du 19e siècle. Au niveau génétique, une population qui se maintient en un seul endroit, c’est vraiment compliqué pour l’avenir. Les deux autres espèces de droséra se trouvent encore assez facilement, en particulier la droséra intermédiaire (Drosera intermedia). La droséra à feuilles rondes (Drosera rotundifolia) vit dans des milieux très acides et est donc davantage en danger."

Drosera intermedia, Tourbière de Mathon ©Christophe Perelle

Pourquoi une plante est-elle carnivore ?

Comme toutes les plantes carnivores, la droséra n’apprécie pas du tout les milieux eutrophes, c’est-à-dire riches en nutriments. Elle aime au contraire les milieux pauvres en nutriments (azote, phosphate). "C’est pour ça qu’elle est carnivore, poursuit Catherine Zambettakis. C’est parce qu’elle vit dans des milieux où il n’y a rien à manger. Donc elle utilise des protéines des insectes pour s’en sortir. Dans un milieu où il y a à manger dans le sol, elle va être évincée par d’autres végétaux qui supportent les sols riches, elle n’aura plus sa place et va disparaître."

Les tourbières, des éponges naturelles en voie de disparition

Tourbière de la Réserve naturelle nationale des marais de la Sangsurière et de l'Adriennerie

Comme beaucoup d’autres espèces, les droséras sont exposées à la raréfaction de leur habitat de prédilection : les zones humides et en particulier les tourbières, sortes d’éponges naturelles constituées de matières végétales en décomposition qui jouent un rôle écologique crucial. "Les tourbières sont des sortes de stations d’épuration à ciel ouvert : elles ont une capacité à capter l’eau de pluie puis à la filtrer, à la nettoyer. Quand l’eau descend dans la nappe souterraine, elle est donc de très bonne qualité. Plus on a de grandes tourbières qui fonctionnent bien, plus on aura une très bonne qualité de l’eau", explique Catherine Zambettakis.

Les tourbières possèdent une autre vertu, celle d’emprisonner le carbone dans leurs entrailles humides, l’empêchant ainsi d’être rejeté dans l’atmosphère. "Si on assèche les tourbières parce qu’on les draine trop ou qu’on pompe trop l’eau, on extrait le carbone stocké qui va être relargué dans l’atmosphère."

Les zones humides et les tourbières sont de fait soumises à la pression des activités humaines (urbanisation, demande croissante d’eau pour les populations, usages industriels et agricoles) qui ont déjà eu raison de plusieurs milliers d’hectares d’entre elles. "Ce sont pourtant des milieux très originaux au niveau de la flore et de la faune, et très précieux en termes de patrimoine naturel."

« Plus on a de grandes tourbières qui fonctionnent bien, plus on aura une très bonne qualité de l’eau. »

Catherine Zambettakis

La violette de Rouen, unique au monde !

La Violette de Rouen (Viola hispida), qu’on appelle aussi Pensée de Rouen, est une espèce endémique, c’est-à-dire qu’on la rencontre en un seul endroit au monde : la vallée de la Seine.

Ayant émergé après la dernière glaciation, elle ne s’épanouit que dans les « pierriers », éboulis de craie situés en bas des falaises surplombant le fleuve. Alors qu’autrefois on pouvait l’observer jusqu’à Mantes-la-Jolie voire plus loin, on ne la trouve plus aujourd’hui, à l’état sauvage, que sur quelques sites autour de Rouen, à Saint-Adrien, Romilly-sur-Andelle et Amfreville-sous-les-Monts.

« Sa raréfaction est essentiellement due à la dégradation de son habitat, explique Nicolas Valy, responsable de l’antenne Rouen-Normandie du Conservatoire botanique national de Bailleul, ainsi qu’au faible nombre d'individus par station et à leur éloignement qui compromet la diversité génétique. »

De plusieurs dizaines de milliers d’individus dans les années 50, la violette est ainsi tombée à quelques centaines au début des années 2000. Déclarée très rare et en danger critique d’extinction, elle fait l’objet d’attentions de la part du Conservatoire des espaces naturels de Normandie qui organise régulièrement des opérations de ravivage de pierriers, débroussaillage, pâturage et bucheronnage des côteaux calcaires pour préserver son habitat.

L’Etat a également approuvé récemment un Plan national d’action (PNA) pour voler au secours des 3 espèces endémiques menacées de la vallée de la Seine normande. Outre la violette de Rouen, ce plan concerne deux autres plantes exceptionnelles et emblématiques : la Biscutelle de Neustrie (Biscutella neustriaca) et l'Iberis intermédiaire (Iberis intermedia intermedia). Espérons qu’ainsi notre violette, cette fleur délicate apparue il y a plus de 10 000 ans, continuera longtemps à égayer les éboulis de la vallée de la Seine !

Les sentinelles du climat

Les sentinelles du climat sont des espèces animales et végétales indicatrices des effets du changement climatique sur la faune et la flore. C’est aussi le nom d’un programme initié en Aquitaine et qui est envisagé en Normandie pour les années à venir, sous la coordination des CPIE. L’objectif est de suivre les espèces sensibles et de proposer des mesures de gestion pour permettre une meilleure résilience. 

Et le changement climatique dans tout ça ?

« On mène tous nos vies un peu en parallèle mais le challenge des années à venir, c’est de se dire qu’on est tous sur une seule et même planète et qu’il faut qu’on arrive à la préserver ensemble. »

Emmanuelle Bouillon, conservatrice de la Réserve naturelle nationale des marais de la Sangsurière et de l'Adriennerie

Emmanuelle Bouillon, Réserve naturelle nationale des marais de la Sangsurière et de l'Adriennerie

Le chiffre choc 

Alerte lancée le 6 mai 2019, à Paris, à l’adresse des gouvernants et des peuples, par la plateforme IPBES

1 million d’espèces animales et végétales – soit 1 sur 8 – risquent de disparaître à brève échéance de la surface de la terre ou du fond des océans

Le changement climatique met ce type de milieu sous tension hydrique. Avec les pluies qui se raréfient pendant de longues périodes, les températures qui augmentent et le vent de plus en plus présent, les tourbières s’assèchent. Les plantes plantes sont soumises à une forte pression d'évaporation et sont fragilisées. Mais cela n’est pas le seul facteur, cela ne fait qu’ajouter à la problématique.
Les apports de nutriments de l’extérieur (azote, phosphate) liés soit aux effluents de l’urbanisation, soit à l’agriculture, transforment le milieu en profondeur et certaines espèces déclinent.


De même, en pompant de plus en plus dans la nappe phréatique pour satisfaire les besoins croissants de la population alentour, on joue sur la réserve en eau qui maintient l’éponge constituée par la tourbière et on la met en péril. Enfin, on augmente le problème par l’absence d’entretien. Les petites plantes des marais ne peuvent se maintenir que si elles sont au soleil, si elles ont de la lumière. Donc, s’il n’y a aucune pratique de fauchage ou de pâturage extensif, on a des végétations de saules ou d’aulnes qui s’installent et on finit par être dans une forêt marécageuse. Du coup, ces plantes se raréfient.

Réserve naturelle nationale des marais de la Sangsurière et de l'Adriennerie

Comment éviter que les milieux humides s’assèchent ?


"Il faut des mesures collectives, conclut Catherine Zambettakis. Il faut tirer sur toutes les ficelles de manière très collégiale, sinon nous n'arriverons pas à grand-chose. Il faut gérer les marais avec les gens qui vivent autour, avec tous les usagers. Il n’y a pas d’un côté les écologistes et de l’autre les non-écologistes, tout le monde doit s’y mettre."

Catherine Zambettakis, Réserve naturelle nationale des marais de la Sangsurière et de l'Adriennerie

"Il faut qu’on se parle, que l’on soit gestionnaires d’espace naturel, agriculteurs, citoyens ou syndicats d’alimentation en eau potable, renchérit Emmanuelle Bouillon, conservatrice de la Réserve naturelle nationale des marais de la Sangsurière et de l'Adriennerie. On mène tous nos vies un peu en parallèle mais le challenge des années à venir, c’est de se dire qu’on est tous sur une seule et même planète et qu’il faut qu’on arrive à la préserver ensemble. On a tous à gagner à bien gérer les espaces de tourbières."

Photographe de nature : images sensibles

Christophe Perelle est un photographe passionné de vie sauvage. Depuis sa découverte avec son père et ses oncles du brâme du cerf en forêt normande, il ne cesse de guetter et d'immortaliser les moments magiques qu’offre la nature. Toujours à l’affût, le Caennais réalise de magnifiques images dans les Parcs Naturels Régionaux. Ses clichés sont autant de messages d’alerte sur la fragilité des espèces végétales et animales. Il travaille en étroite collaboration avec les associations de préservation.  
Dans ce dossier, il signe, entre autres, les photos de Drosera et Mante religieuse observées en Normandie.

 

Découvrez son travail dans notre nouvelle rubriques Instagram : la Normandie sauvage.

D’autres espèces sont menacées en Normandie

« La notion d’espèce menacée n’est pas toujours facile à appréhender par le grand public car parfois une espèce peut paraître commune alors qu’en réalité elle est passée de très commune à commune voire assez commune. »

Mickaël Barrioz, CPIE du Cotentin

Le lézard vivipare (Zootoca vivipara)

Son déclin s’est accentué ces 20 dernières années, au cours desquelles sa population a diminué d'environ 15%. Il est de plus en plus rare de l’observer dans les jardins ou les bocages, où sa survie dépend de l'existence d'un maillage important de mares, de fossés et de haies maintenant l’humidité. Il trouve de plus en plus refuge dans des milieux rares comme les tourbières et autres zones humides. Si rien n’est fait, cela deviendra une espèce rare alors que c’était le plus commun des lézards en Normandie.  

La grenouille rousse (Rana temporaria)

C’était une espèce commune en Normandie. Une étude récente a montré une chute de sa population de 50% depuis 2007. Les facteurs climatiques, en particulier la hausse des températures et la baisse des précipitations printanières, sont clairement en cause. La grenouille rousse aime les hivers rigoureux, sa fécondité diminue avec la douceur hivernale. Par ailleurs, elle pond dans très peu d’eau (quelques centimètres), donc quand vient le printemps, les mares sont de plus en plus souvent asséchées et ses têtards n’ont plus assez d’eau pour se développer.

Le petit collier argenté (Boloria selene)

Ce papillon est en forte régression dans le grand quart nord-ouest. En Normandie où il était largement répandu, il n’est plus cantonné qu’à quelques localités de la Manche et de l’Orne, et considéré comme éteint dans les trois autres départements. Amateur de fraîcheur et d’acidité, il vit dans les landes et les prairies maigres, généralement en lisière forestière, où sa chenille apprécie particulièrement les violettes. La dégradation de ces habitats n’explique pas à elle seule son déclin. De nombreux observateurs pointent aussi les effets des changements climatiques.

Le gravelot à collier interrompu (Charadrius alexandrinus)

Le gravelot à collier interrompu (Charadrius alexandrinus). Très vulnérable, ce petit (15 cm maximum) limicole nicheur de nos plages se fait rare : on n’en observe plus chaque année que 200 à 250 couples sur le littoral de la Manche et du Calvados, contre 300 au début des années 2010. Il niche sur le haut des plages, aménageant son nid directement sur le sable (côte Ouest du Cotentin et du Calvados) ou sur le cordon de coquilles de crépidules (côte est du Cotentin).

Misant sur le camouflage, le gravelot se confond avec le sable. C’est un avantage pour ne pas être repéré par les prédateurs (principalement les très offensives corneilles et parfois les renards) mais un inconvénient aux beaux jours, avec le retour des promeneurs, des chiens, des plagistes et des opérations de nettoyage des plages.

Les nids de gravelots sont par ailleurs fréquemment submergés par la marée ou ensevelis, phénomènes qui augmentent avec le changement climatique et l’accélération des épisodes de tempêtes. Résultat : en moyenne, moins d’1 jeune survit sur 2 couvaisons de 3 œufs, ce qui est tout à fait insuffisant pour assurer la pérennité de l’espèce.

Pour éviter d’écraser des œufs ou des poussins, il est important de respecter la signalisation, de marcher sur le bas de plage au plus près de l’eau et, quand ils sont autorisés, de tenir les chiens en laisse courte (moins de 5 m). En savoir plus

Comment favoriser la présence du lézard vivipare et de la grenouille rousse dans son jardin ?

Grenouille rousse, Réserve naturelle nationale des marais de la Sangsurière et de l'Adriennerie

  • Aménagez une mare ou un petit bassin (sans poissons pour la grenouille).
  • Disposez autour quelques grosses pierres, des tas de bois, des souches, pour que les lézards puissent se chauffer au soleil (thermorégulation)- Laissez une ceinture de végétation au moins jusqu'en octobre pour qu’ils y trouvent des petites proies (insectes) et puissent s'y réfugier en cas de menace (les chats sont des prédateurs non négligeables !). 

Comment attirer les oiseaux ?

  • Plantez des arbres, arbustes, massifs et haies en privilégiant les essences locales qui produisent des graines, des fruits ou des baies.
  • Taillez les haies avant fin mars pour éviter toute perturbation pour la nidification, en veillant à ne pas détruire les nids qui pourraient s’y trouver.
  • Installez pendant les périodes de froid des nichoirs et des mangeoires dans des endroits calmes, à l’abri des chats 
  • Mettez-leur à disposition de l’eau dans un récipient pas trop profond
     

Le gorge-bleue - Marais de Carentan @Christophe Perelle

La mante religieuse colonise la Normandie !

Mante religieuse - Réserve naturelle dans l'Orne © Christophe Perelle

Parmi les espèces qui au contraire progressent, il y a l’emblématique mante religieuse (Mantis religiosa), dont la réputation de dévoreuse de mâle après l’accouplement n’est plus à faire... Même si elle a été mentionnée dès le milieu du 19e siècle, notamment dans les environs du Havre, il est avéré qu’aujourd’hui elle s’est installée durablement en Normandie, colonisant progressivement la région, du sud vers le nord et d’est en ouest. D’affinité méridionale, elle apprécie particulièrement les milieux chauds et secs dont les dunes, les coteaux calcaires, mais aussi les herbes hautes des champs en friches et des talus bien exposés. Elle se nourrit d’insectes qu’elle dévore grâce à son appareil buccal broyeur, montrant une incroyable dextérité dans l’art d’attraper des mouches. 

 

Un autre nouvel arrivant des pays chauds et secs est l’œdipode aigue-marine (Sphingonotus caerulans) qui s’est lui aussi totalement emparé du territoire normand. Utilisant pour se déplacer le ballast des voies de chemin de fer, ce criquet a déjà pris ses aises dans plusieurs gares ferroviaires. "Même si c’est toujours difficile à démontrer en l’absence d’un protocole de suivi à long terme, il est clair que le changement climatique joue un rôle majeur dans l’arrivée de ces espèces connues pour fuir les zones fraîches", souligne Loïc Chéreau, entomologiste membre du GIEC normand, responsable de l’antenne normande du GRETIA (Groupement d’étude des invertébrés armoricains).
 

Lexique

Ecosystème

C’est un ensemble dynamique composé d’organismes vivants (plantes, animaux, champignons, micro-organismes) et de leur environnement (l’eau, l’air, la terre, la température), où chacun joue un rôle spécifique.

Biodiversité

C’est la diversité des espèces vivantes (micro-organismes, végétaux, animaux) présentes dans un milieu naturel.

Les actions de la Région, des acteurs engagés et des aides financières pour protéger la biodiversité

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